Les quais -Paul Verlaine

Quais de Paris ! Beaux souvenirs ! J’étais agile,
J’étais, sinon bien riche, à mon aise, en ces temps…
J’étais jeune et j’avais des goûts très militants,
Tel un bon iconographobibliophile.


Loin de moi l’orgueil sot de me prétendre habile,
Même alors ! Mais c’étaient de précieux instants,
Perdus ou non dans des déboires persistants
Pour les prix… et le reste ! Et pas la moindre bile !


La Seine s’allongeait — elle s’allonge encor —
Comme un serpent jaspé de vert, de noir et d’or…
Le vent frémit toujours… L’aimable paysage !…


Mais bouquiner, n’y plus songer ! De vils pisteurs
Pour les libraires ont exercé leur ravage,
Et les boîtes ont fait la nique aux amateurs.

Arthur Rimbaud -Bonheur

Ô saisons, ô châteaux,
Quelle âme est sans défauts ?

Ô saisons, ô châteaux,

J’ai fait la magique étude
Du Bonheur, que nul n’élude.

Ô vive lui, chaque fois
Que chante son coq gaulois.

Mais ! Je n’aurais plus d’envie,
Il s’est chargé de ma vie.

Ce charme ! Il prit âme et corps,
Et dispersa tous efforts.

Que comprendre à ma parole ?
Il fait qu’elle fuit et vole !

Ô saisons, ô châteaux !

[Et, si le malheur m’entraîne,
Sa disgrâce m’est certaine,

Il faut que son dédain, las !
Me livre au plus prompt trépas !

Ô saisons, ô châteaux,
Quelle âme est sans défauts ?]

Pierre Seghers (Poète, Editeur et resistant(1906-1987) – Aux liseurs de poèmes

Pierre Seghers


D’abord il vous faudra du temps, beaucoup de temps. Du loisir.
Du silence en vous et autour de vous. Du silence.
Coupé d’ardoises sur les toits, ou de cigales, dans le Sud.
De longs moments de solitude pour n’être pas seul loin des autres
Et des mains, pour toucher les mots. Il vous faut écouter profond
Un cheminement de racines, voir des éclats parmi les feuilles
Guetter une démarche aisée ou non, qui n’est qu’à soi
Respirer le parfum des corps, l’odeur des genêts, des lavandes,
Et piéger, dans ce qui est dit, le gibier terré sous les mots.

Vous aurez à déjouer des ruses, des malices. Le coeur se prend
Aux orphéons, à la mémoire des musiques
Aux mouvements bien cadencés des grandes parades, pas un bouton
Qui manque aux guêtres ! Et des guirlandes. Vous dépisterez ceux qui s’en vont
Semer leurs herbes dans d’autres traces, et le grain pourri de la mode
Il faudra le mettre aux issues. Tout cela prend beaucoup de temps.
Pour aller à la découverte
Votre radar s’appelle un don. Mais en échange, donnez-lui
Le partage de votre vie, captez l’appel des voix lointaines
Votre écho : le premier mot fut dit par vous.


Il n’y a pas de mot clé, il n’y a pas de sésame
Ni caverne, ni porte. Pas de coffres pleins de joyaux
Les dictionnaires sont des univers où la réalité des mondes
Se tait, chuchote, ou meurt. Pas de mots clés, pas de serrures
Mais des racines de chaque mot poussent des forêts pour les vents
Les océans et les nuages. Les mots sont des graines
Qu’on vend sur des marchés, des cris, une semence.


Je ne recherche pas l’enchevêtré dans l’arabesque des paragraphes
Un tracé infiniment repris, enregistré dans tous les sens
Une calligraphie par sa répétition devenue fascinante et folle
Une rature sans espoir étouffant le blanc du papier
Je ne jette pas, comme aux chats, la pelote de l’illisible
Ne dévide pas pour du vent un fil d’Ariane inépuisé
Ne reprends pas pour m’y complaire un ressassage de vieillardes
N’obscurcis rien, n’explique rien. Je dis des choses machinales
Un mouvement de sang que nul n’entend… »

Vasyl Symonenko (poète ukrainien dissident 1935-1963)-Tu sais que tu es un humain…

« Il n’y a rien de plus terrible qu’un pouvoir illimité dans les mains d’un être borné. »
Vasyl Symonenko


Tu sais que tu es un humain.
Tu le sais ou tu ne le sais pas ?
Ce sourire est unique pour toi,
Ce tourment est unique pour toi,
Tes yeux qu’aucune autre personne n’a.
Demain, tu ne serais pas ici présent.
Demain, sur cette terre bénie,
D’Autres courront et riront,
D’autres ressentiront et aimeront ;
Les bons et les mauvais, mon ami.
Aujourd’hui le monde s’offre à toi :
Forêts et collines, vallées profondes.
Alors dépêche-toi ! De vivre, s’il te plaît, dépêche-toi !
Alors dépêche-toi d’aimer, s’il te plaît, dépêche-toi !
N’hésite pas, ne dormez pas trop !
Parce que vous sur cette terre tu es un humain.
Et que tu le veuilles ou non,
Ce sourire est unique pour toi,
Ce tourment est unique pour toi,
Tes yeux qu’aucune autre personne n’a.


René-François SULLY PRUDHOMME -Prière



Ah ! Si vous saviez comme on pleure
De vivre seul et sans foyers,
Quelquefois devant ma demeure
Vous passeriez.
Si vous saviez ce que fait naître
Dans l’âme triste un pur regard,
Vous regarderiez ma fenêtre
Comme au hasard.
Si vous saviez quel baume apporte
Au coeur la présence d’un coeur,
Vous vous assoiriez sous ma porte
Comme une soeur.
Si vous saviez que je vous aime,
Surtout si vous saviez comment,
Vous entreriez peut-être même
Tout simplement.

Tableau d’école Italienne Du 17ème Siècle Vierge En Prière

Brise marine – Stéphane Mallarmé

La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres.
Fuir ! là-bas fuir! Je sens que des oiseaux sont ivres
D’être parmi l’écume inconnue et les cieux !
Rien, ni les vieux jardins reflétés par les yeux
Ne retiendra ce cœur qui dans la mer se trempe
Ô nuits ! ni la clarté déserte de ma lampe
Sur le vide papier que la blancheur défend
Et ni la jeune femme allaitant son enfant.
Je partirai ! Steamer balançant ta mâture,
Lève l’ancre pour une exotique nature !

Un Ennui, désolé par les cruels espoirs,
Croit encore à l’adieu suprême des mouchoirs !
Et, peut-être, les mâts, invitant les orages,
Sont-ils de ceux qu’un vent penche sur les naufrages
Perdus, sans mâts, sans mâts, ni fertiles îlots …
Mais, ô mon cœur, entends le chant des matelots !

photo Julie Ladret
photo Julie Ladret

Pendant la tempête – Théophile Gautier

La barque est petite et la mer immense ;

La vague nous jette au ciel en courroux,
Le ciel nous renvoie au flot en démence :
Près du mât rompu prions à genoux !

De nous à la tombe, il n’est qu’une planche.
Peut-être ce soir, dans un lit amer,
Sous un froid linceul fait d’écume blanche,
Irons-nous dormir, veillés par l’éclair !

Fleur du paradis, sainte Notre-Dame,
Si bonne aux marins en péril de mort,
Apaise le vent, fais taire la lame,
Et pousse du doigt notre esquif au port.

Nous te donnerons, si tu nous délivres,
Une belle robe en papier d’argent,
Un cierge à festons pesant quatre livres,
Et, pour ton Jésus, un petit saint Jean.

Ne tombe pas amoureux – Martha Rivera Garrido

« Ne tombe pas amoureux d’une femme qui lit, d’une femme qui ressent trop, d’une femme qui écrit…

Ne tombe pas amoureux d’une femme cultivée, magicienne, délirante, folle.
Ne tombe pas amoureux d’une femme qui pense, qui sait ce qu’elle sait et qui, en plus, sait voler ; une femme sûre d’elle-même.

Ne tombe pas amoureux d’une femme qui rit ou qui pleure en faisant l’amour, qui sait convertir sa chair en esprit ; et encore moins d’une qui aime la poésie (celles-là sont les plus dangereuses), ou qui s’attarde une demi-heure en fixant un tableau, ou qui ne sait pas comment vivre sans musique.

Ne tombe pas amoureux d’une femme qui s’intéresse à la politique, qui soit rebelle et qui a le vertige devant l’immense horreur des injustices. Une qui aime les jeux de foot et de baseball et qui n’aime absolument pas regarder la télévision. Ni d’une femme qui est belle, peu importe les traits de son visage ou les caractéristiques de son corps.

Ne tombe pas amoureux d’une femme ardente, ludique, lucide et irrévérencieuse.

Ne t’imagine pas tomber amoureux de ce genre de femme.

Car, si d’aventure tu tombes amoureux d’une femme pareille, qu’elle reste ou pas avec toi, qu’elle t’aime ou pas, d’elle, d’une telle femme, JAMAIS on ne revient. »

No te enamores de una mujer que lee, de una mujer que siente demasiado, de una mujer que escribe…

No te enamores de una mujer culta, maga, delirante, loca.

No te enamores de una mujer que piensa, que sabe lo que sabe y además sabe volar; una mujer segura de sí misma.

No te enamores de una mujer que se ríe o llora haciendo el amor, que sabe convertir en espíritu su carne; y mucho menos de una que ame la poesía (esas son las más peligrosas), o que se quede media hora contemplando una pintura y no sepa vivir sin la música.

No te enamores de una mujer a la que le interese la política y que sea rebelde y vertigue un inmenso horror por las injusticias.Una a la que le gusten los juegos de fútbol y de pelota y no le guste para nada ver televisión. Ni de una mujer que es bella sin importar las características de su cara y de su cuerpo.

No te enamores de una mujer intensa, lúdica y lúcida e irreverente.

No quieras enamorarte de una mujer así.

Porque cuando te enamoras de una mujer como esa, se quede ella contigo o no, te ame ella o no, de ella, de una mujer así, JAMAS se regresa.

 Le roi des aulnes – Johann Wolfgang (von) Goethe ( 1749 -1832 )

Wer reitet so spät durch Nacht und Wind?
Es ist der Vater mit seinem Kind.
Er hat den Knaben wohl in dem Arm,
Er fasst ihn sicher, er hält ihn warm.

Mein Sohn, was birgst du so bang dein Gesicht? –
Siehst Vater, du den Erlkönig nicht!
Den Erlenkönig mit Kron’ und Schweif? –
Mein Sohn, es ist ein Nebelstreif. –

„Du liebes Kind, komm geh’ mit mir!
Gar schöne Spiele, spiel ich mit dir,
Manch bunte Blumen sind an dem Strand,
Meine Mutter hat manch gülden Gewand.“

Mein Vater, mein Vater, und hörest du nicht,
Was Erlenkönig mir leise verspricht? –
Sei ruhig, bleibe ruhig, mein Kind,
In dürren Blättern säuselt der Wind. –

„Willst feiner Knabe du mit mir geh’n?
Meine Töchter sollen dich warten schön,
Meine Töchter führen den nächt lichen Reihn,
Und wiegen und tanzen und singen dich ein.“ –

Mein Vater, mein Vater, und siehst du nicht dort
Erlkönigs Töchter am düsteren Ort? –
Mein Sohn, mein Sohn, ich seh’ es genau,
Es scheinen die alten Weiden so grau. –

„Ich liebe dich, mich reizt deine schöne Gestalt,
Und bist du nicht willig, so brauch ich Gewalt!“
Mein Vater, mein Vater, jetzt fasst er mich an,
Erlkönig hat mir ein Leids getan. –

Dem Vater grauset’s, er reitet geschwind,
Er hält in Armen das ächzende Kind,
Erreicht den Hof mit Mühe und Not,
In seinen Armen das Kind war tot

Qui chevauche si tard à travers la nuit et le vent ?
C’est le père avec son enfant.
Il porte l’enfant dans ses bras,
Il le tient ferme, il le réchauffe.

« Mon fils, pourquoi cette peur, pourquoi te cacher ainsi le visage ?
Père, ne vois-tu pas le roi des Aulnes,
Le roi des Aulnes, avec sa couronne et ses longs cheveux ?
— Mon fils, c’est un brouillard qui traîne.

— Viens, cher enfant, viens avec moi !
Nous jouerons ensemble à de si jolis jeux !
Maintes fleurs émaillées brillent sur la rive ;
Ma mère a maintes robes d’or.

— Mon père, mon père, et tu n’entends pas
Ce que le roi des Aulnes doucement me promet ?
— Sois tranquille, reste tranquille, mon enfant :
C’est le vent qui murmure dans les feuilles sèches.

— Gentil enfant, veux-tu me suivre ?
Mes filles auront grand soin de toi ;
Mes filles mènent la danse nocturne.
Elles te berceront, elles t’endormiront, à leur danse, à leur chant.

— Mon père, mon père, et ne vois-tu pas là-bas
Les filles du roi des aulnes à cette place sombre ?
— Mon fils, mon fils, je le vois bien :
Ce sont les vieux saules qui paraissent grisâtres.

— Je t’aime, ta beauté me charme,
Et, si tu ne veux pas céder, j’userai de violence.
— Mon père, mon père, voilà qu’il me saisit !
Le roi des aulnes m’a fait mal ! »

Le père frémit, il presse son cheval,
Il tient dans ses bras l’enfant qui gémit ;
Il arrive à sa maison avec peine, avec angoisse :
L’enfant dans ses bras était mort.

 ( traduction Jacques Porchat -1861 )

Conseils d’Artaud, de loin – Robert Duncan (1919-1988)


Trois cheminées brûlent
torches-égouts en continu, puduculs,
feu vestalien, dévastations
de la cité secrète, brûlant en continu;
les fleuves
étouffés d’étrons, sperme, capotes,
pénètrent dans l’antique mer comme serpents,
intestins,
tortillons grimpants – littérachure sexuelle –
clergé viscéral
placiers en obscénités, pompeurs d’âmes, merdoyeurs
grippe-sous, dans leur danse insensée
au milieu de harpies sans âge.

Je m’expose franchement, et je le vois,
ce n’est pas l’enfer. C’est le puits de l’année,
fontaine artésienne des notoriétés.
Puanteur qui monte, qui déploie les ailes,
portes qui encombrent les rabats du ciel.

Vieilles complaintes barbouillées d’or.
Son cireux maternage impassible
porte perles pour larmes,
croûtes à dorures pour robes, manteaux-chair.
Pleins de fumée, les gosses du soleil
bredouillent des bouffées de poésie de leur orifice
leur immondice.

C’est pour bourrer son trou de balle d’essence de sainteté
que la cité vient s’abattre sur ses tours
pompant les existences dans la merde magique,
murmurant et sifflant,
automobiles du plaisir.

          Trois cheminées de virginité
          qui expirent ses feux.

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